La prévalence des conduites addictives dans la problématique du suicide

On parle de dépendance ou d’addiction, lorsqu’un individu se retrouve incapable de stopper sa consommation de substance psychoactive ou de cesser un comportement compulsif, en dépit des conséquences négatives sur sa vie. Il peut s’agir de conséquences relationnelles, comme des conflits familiaux ou des séparations ; professionnelles, comme la perte d’emploi ; scolaires, comme le décrochage et l’absentéisme ; ou financières, comme l’accumulation de dettes.

Ce qui caractérise la pathologie addictive, c’est la perte de contrôle. Il n’y a plus de limite, le sujet ressent une envie irrépressible de consommer et n’est pas en capacité de préjuger des conséquences de ses actes. On estime que plusieurs millions de personnes en France sont concernées par les addictions aux substances psychoactives (Inserm, 2020). Quant aux comportements compulsifs (jeux d’argent, internet, sexe, achat compulsif, etc.), les données sont encore trop manquantes.

L’addiction est un véritable cercle vicieux dans lequel l’individu se retrouve prisonnier : un certain mal-être le pousse au comportement addictif, et ce comportement addictif a des conséquences sur sa santé psychologique comme sur les autres parties de sa vie et génère davantage de mal-être. La souffrance qui résulte des sentiments de honte, de culpabilité, de mésestime de soi qui peut aller jusqu’à la haine de soi, décuplé au cours des conduites addictives, est un facteur important du passage à l’acte suicidaire.

Les statistiques attestent de l’existence d’une comorbidité fréquente de la dépression et de l’addiction : on trouve 30 à 50 % de dépressifs dans les sujets ayant des troubles du comportement alimentaire, de l’alcoolisme et de la toxicomanie chez les jeunes. Chez les adultes, la dépression est en cause à 80 % et on retrouve la présence de tentatives de suicide avant la conduite toxicomaniaque dans plus de 60 % des cas (Van Damme, P. 2006).
L’OMS estime qu’un million de personnes environ décèdent chaque année par suicide à travers le monde, ce qui correspond globalement à un suicide toutes les 40 secondes. En France, on évalue à 10 500 le nombre de suicides annuels. La présence d’un trouble lié à un usage de substances, comme l’addiction à l’alcool, à un psychotrope ou au cannabis, augmente de façon drastique le risque de tentative de suicide comme celui de suicide abouti.

Les conduites addictives et leurs spécificités

Selon l’association Drogue : Aide et Référence (DAR), nous retrouvons deux types de dépendance : la dépendance physique et la dépendance psychologique. 

Lorsque l’organisme s’est habitué à une substance au point d’en avoir besoin pour fonctionner (dans le cas d’addiction à des substances psychoactives), on parle de dépendance physique. Ainsi, lorsque la personne cesse de consommer cette substance, elle ressent un manque (craving) qui s’accompagne de symptômes (maux de tête, tremblements, nausées…) : on appelle ça le sevrage.
La dépendance psychologique quant à elle, est influencée par des facteurs comme la personnalité de la personne, ses habitudes de vie ou encore son cercle social. Le souvenir du plaisir que lui procure la substance ou l’activité est en lien avec l’accroissement de la dépendance, dû au phénomène d’accoutumance, qui consiste en la nécessité d’augmenter les doses pour retrouver les mêmes effets qu’au début. Si le sevrage à la dépendance physique peut être éprouvant, celle-ci ne dure pas longtemps en comparaison à la dépendance psychologique qui, elle, peut durer toute la vie. C’est par exemple le cas pour les personnes anciennement alcooliques qui ne boivent plus une goutte d’alcool, sachant que cette goutte pourrait suffir à éventuellement raviver l’addiction.

L’addiction, comme le passage à l’acte suicidaire, est le résultat d’une multitude de facteurs. L’âge, le sexe, la maturité cérébrale, la personnalité et l’humeur jouent un rôle dans le risque de développer un comportement addictif. Nous savons que l’initiation précoce à des substances psychoactives et d’être de sexe masculin constituent des vulnérabilités spécifiques. Le passage à une consommation / pratique nocive est facilité par certains facteurs : génétiques (nous ne sommes pas égaux face à l’addiction), psychologiques (le mal-être favorise l’évasion dans des pratiques addictives pour soulager la souffrance), et environnemental (stress, contexte familial et social, présence de troubles psychiques, etc.).

Mais nous savons aujourd’hui que quelle que soit la substance ou le comportement en cause, la dépendance repose sur le même mécanisme neurobiologique : la perturbation du circuit de la récompense. La dopamine produite par le cerveau lorsque l’on effectue une tâche agréable est l’une des molécules responsables de la sensation de plaisir. Ce neurotransmetteur est à la base du circuit de la récompense, qui a pour fonction initiale de favoriser des comportements nécessaires à la survie de l’espèce. Lorsqu’il fonctionne normalement, le circuit de la récompense participe au bon équilibre mental (« Qu’est-ce que la dépendance ? », DAR. 2021).

Sur le plan neurobiologique, le niveau d’activité des neurotransmetteurs qui régissent notre fonctionnement et notre comportement peut donc varier d’un individu à l’autre, c’est pour cela que certaines personnes sont plus vulnérables au développement d’une addiction que d’autres. Des perturbations des systèmes dopaminergiques impliqués dans le circuit de la récompense, mais aussi cannabinoïde (homéostasie cellulaire) ou sérotoninergique (humeur) sont, notamment, associées à cette vulnérabilité. Au fur et à mesure, la production naturelle d’une sensation de bien-être via ces neurotransmetteurs est perturbée et l’augmentation de la quantité des substances ou de son intensité devient nécessaire pour retrouver, en surface, cet état de bien-être du début : c’est le phénomène d’accoutumance (« Addictions : Du plaisir à la dépendance ». Inserm, 2017).

Addiction et suicide : un continuum de la souffrance

Le comportement suicidaire est un continuum commençant par des idées suicidaires et pouvant se poursuivre avec la planification, les tentatives et le suicide. 

Les facteurs de risques et les facteurs protecteurs nous permettent d’entrevoir pourquoi certaines personnes sont plus susceptibles de développer certains troubles que d’autres. Une seule cause ou facteur de risque ne permet pas d’expliquer un acte suicidaire, il s’agit souvent d’un cumul de plusieurs facteurs de stress qui accentue la vulnérabilité d’une personne aux comportements suicidaires.

En voici quelques exemples : la perturbation des relations conjugales et interpersonnelles, les difficultés professionnelles et financières ou la consommation importante et récente de substances. Les antécédents de tentatives de suicide et d’abus sexuels, se combinent également de manière additive avec les traits de personnalité et les troubles psychiques, comme par exemple la dépression, l’anxiété et les phobies, les troubles du comportement alimentaire ou la schizophrénie, pour intensifier le risque de comportement suicidaire chez les patients souffrant de dépendance. La dépression majeure, le trouble bipolaire, le trouble de la personnalité limite et le trouble de stress post-traumatique sont particulièrement associés au comportement suicidaire chez les personnes souffrant de troubles liés à la dépendance (Yuodelis-Flores, C., & Ries, R. K. 2015).

Les facteurs de protection sont, au contraire, des influences positives qui peuvent améliorer la vie de la personne et diminuer les risques de développer un trouble. On y retrouve notamment : des relations personnelles solides ; les croyances religieuses et spirituelles ; les stratégies d’adaptation positives et le bien-être : un équilibre émotionnel, une vision optimiste et une forte identité personnelle pour faire face aux difficultés de la vie. De même, une bonne estime de soi, un sentiment d’efficacité personnelle et des compétences en résolution de problèmes sont d’importants facteurs protecteurs face aux conduites suicidaires, ainsi qu’au développement de pathologies addictives. 

Ce que l’on peut faire

Lorsqu’un proche est concerné par la problématique addictive et / ou suicidaire, l’important c’est d’être présent. Chaque situation est unique et nécessite un diagnostic et un accompagnement personnalisés par une personne professionnelle, mais les proches ont aussi un rôle important qui peut aider la personne en souffrance. 

L’organisme de l’Assurance Maladie nous donne des outils pour savoir comment agir :

Ressources à contacter en cas de besoin

Ces deux lignes sont gérées par Santé publique france (SPF) qui apporte des informations et une aide pour faire face aux difficultés liées à la consommation de toute substances psychoactives et propose 7 j/7, de façon confidentielle et anonyme :

  • une aide et un soutien adaptés aux besoins de chacun,
  • des informations précises sur les effets, les risques, la loi, les lieux d’accueil,
  • des conseils de prévention,
  • une orientation vers des professionnels compétents.

Drogues info service : 0 800 23 13 13

Ecoute cannabis : 0 980 980 940

De 8h à 2h, 7 jours sur 7. Appel est anonyme et gratuit depuis un poste fixe.

Son action regroupe prévention, formation, soin et réduction des risques. Avec 90 centres dans toute la France, sa mission est d’améliorer la santé en agissant sur les addictions et leurs conséquences.

  • Les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA)

Présents dans tous les départements français, ils accueillent, avec des équipes pluridisciplinaires, toute personne en difficulté avec ses consommations (alcool, tabac, cannabis, opiacés et autres) ou ayant une conduite addictive (jeux, internet, etc.) ainsi que ses proches, de façon anonyme et gratuit.

  • Les consultations jeunes consommateurs (CJC) 

Les CJC s’adressent aux personnes mineures ou jeunes majeures présentant des difficultés en lien avec un comportement avec ou sans substance. Ces consultations, gratuites et confidentielles, sont présentes dans la quasi-totalité des départements. Elles se déroulent au sein des CSAPA ou dans des lieux spécialisés dans l’accueil des jeunes : Maisons des adolescents, Points accueil-écoute jeunes.

  • Les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD)

Anonymes et gratuits, les CAARUD sont ouverts à tout usager de substances psychoactives, sans condition préalable d’entrée dans une démarche de diminution de sa consommation et de soin.

Lueur d’Espoir vient en aide à ceux, celles qui pensent mettre fin à leurs jours ou ont décidé de le faire, ainsi qu’à leur entourage confronté à cette problématique.
Permanences d’écoute téléphonique gratuit et anonyme 7j/7, de 20h à 23h
Tél. : 04 22 53 74 59 

  • SOS Amitié
    Service d’écoute destiné à accueillir la parole de celles et ceux qui, à un moment de leur vie, traversent une période difficile
    Permanences : écoute téléphonique 24h/24 et 7j/7
    Tél. : 09 72 39 40 50 (retrouvez les numéros d’appel régionaux sur le site de l’association)
  • Suicide Écoute
    Écoute des personnes confrontées au suicide
    Permanence d’écoute téléphonique 24h/24 et 7j/7
    Tél. : 01 45 39 40 00
  • SOS Suicide Phénix
    Accueil et écoute de toute personne confrontée à la problématique du suicide
    Permanence d’écoute téléphonique 7j/7  de 13h à 23h
    Tél. : 01 40 44 46 45
  • Fil Santé Jeunes
    Écoute, information et orientation des jeunes dans les domaines de la santé physique, psychologique et sociale
    Permanence d’écoute téléphonique anonyme et gratuite 7j/7, de 9h à 23h
    Tél. : 0800 235 236
  • Phare Enfants-Parents
    Accueil et écoute téléphonique des parents d’enfants suicidés ou en situation de mal-être
    Tél : 01 43 46 00 62 (du lundi au vendredi de 10 h à 17 h)
  • Association La Porte ouverte
    Lieux d’écoute et de parole proposant des entretiens en face-à-face, anonymes et gratuits, avec des bénévoles (à Besançon, Bordeaux, Lyon, Paris, Rouen et Toulouse) ; coordonnées des lieux d’accueil disponibles sur le site de l’association.

Un nouveau numéro national de prévention du suicide : le 3114

Bibliographie :

Suicide.ca. (s. d.). Dépendance à l’alcool ou à la drogue et suicide. Consulté le 25 janvier 2022, à l’adresse https://suicide.ca/fr/je-pense-au-suicide/situations-difficiles/dependance-a-la-drogue-et-alcool

Drogue : Aide et référence. (2021, 1 juin). Qu’est-ce que la dépendance? Consulté le 25 janvier 2022, à l’adresse : https://www.aidedrogue.ca/la-dependance/quest-ce-que-la-dependance/#

Van Damme, P. (2006). Dépression et addiction. Gestalt, no<(sup> 31), 121-135. https://doi.org/10.3917/gest.031.0121

Crise suicidaire : agir avant la tentative de suicide. (2022, 4 janvier). L’assurance maladie. Consulté le 26 janvier 2022, à l’adresse https://www.ameli.fr/assure/sante/urgence/pathologies/crise-suicidaire-tentative-suicide

Inserm. (2017, 29 mai). Addictions : Du plaisir à la dépendance. Consulté le 26 janvier 2022, à l’adresse https://www.inserm.fr/dossier/addictions/

Yuodelis-Flores, C., & Ries, R. K. (2015). Addiction and suicide: A review. The American journal on addictions, 24(2), 98–104. https://doi.org/10.1111/ajad.12185

Khan, M. (2020, décembre). Troubles liés à l’usage de substances. Manuels MSD pour le grand public. https://www.msdmanuals.com/fr/accueil/troubles-mentaux/troubles-li%C3%A9s-%C3%A0-l%E2%80%99usage-de-substances/troubles-li%C3%A9s-%C3%A0-l-usage-de-substances
L’Assurance Maladie. (2020, février). Addictions : à qui s’adresser ? ameli. https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/addictions/suivi

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